Monday, December 20, 2004

Si je n'avais qu'une chose à demander

Si je n’avais qu’une chose à demander, ce serait d’avoir passé plus de temps avec lui, d’avoir appris plus que je n’ai entendu. Il aurait pu me soigner, me guérir de mes doutes et de mon ignorance, m’absoudre de ma rage. Mais non, je l’ai et je la garde… Et pour longtemps, j’ai l’impression.

Alors maintenant que les choix n’appartiennent plus qu’à moi, que personne n’est laissé pour prier et veiller de loin sur moi, me protégeant des mauvais choix, je dois agir, passer la deuxième et réaliser où j’en suis. Croyant ou non-croyant. Soumis ou non soumis. Musulman ou non musulman. Où commence l’infidélité, où s’arrête la tolérance ?! Ou plutôt où commence la vie et où s’arrête la religion ?! Difficile de lier les deux à 22 ans… Chacun pour soi, Dieu pour tous qu’ils disaient de toute façon… Je dois me dire maintenant que j’ai été chanceux d’avoir cet homme formidable pour veiller sur moi mais qu’à présent, je suis un garçon normal. Ni plus ni moins béni qu’un autre.

Eh oui, la réalité est dure à affronter de face quand on n’a toujours été confronté qu’à sa petite sœur, la providence - cette étoile qui du haut des prières et bénédictions de mon grand-père veillait sur moi et me guérissait lorsque j’aurais dû disparaître. Je suis heureux de l’avoir connue. Mais aujourd’hui, je me sens si faible sans elle et sans son père que je souhaiterais ne l’avoir jamais connue. Non jamais. Et pourtant…

Sans elle, je n’aurais jamais appris à prôner la vérité, à espérer sans rien attendre en retour, à offrir en partage cette lueur qui m’a fait vivre, ce récif qui à la surface de mon désespoir m’a souvent rappelé cette terre promise, où la lumière dans son infinie grandeur, n’a pour limite que l’horizon.

Aujourd’hui je dois quand même remercier mon grand-père de m’en avoir fait goûter les bienfaits. Mais malgré tout qu’est-ce que c’est dur de savoir que c’est fini… Plus de bénédictions, plus d’étoile, plus de providence, plus de guide… Et que de gâchis. Que de gâchis !!! 22 ans et pas une parole de mon grand-père !!! Non, pas une conclusion que je puisse être sûr de tirer de ses enseignements. Pas une. Que souvenirs, dires et ouï-dire. Rien de plus.

Tu étais trop jeune pour te rendre compte de la valeur du temps qui t’était imparti avec lui, et lui trop vieux lorsque tu compris enfin, pour te faire bénéficier de son érudition.
A présent il est trop tard pour les regrets et trop tôt pour le repentir.

Non, je ne devrais pas le ressentir, pas si violemment, pas si vivement. Je ne pouvais pas savoir… Aujourd’hui tout ce que je ressens n’est qu’amertume et regret. Il n’aurait pas voulu ça pour moi, je le sais.

Oui, mais il ne pouvait pas savoir que tu cherchais plus… Il ne pouvait pas deviner que ton cœur était différent, que durant ta plus tendre enfance, tu dansais déjà avec les idéaux de sa jeunesse. Tu as tes amis et tes parents pour te soutenir aujourd’hui. Ils sont ta clé pour parvenir là où ton grand-père aurait aimé que tu te trouves avant qu’il ne te quitte.

Mais pourquoi ?! Pourquoi il ne m’a pas montré le chemin lui-même ?!

Comment ça il ne t’a pas montré le chemin ?! Toutes ces prières, toutes ces bénédictions, sa générosité, les bienfaits dont il vous a comblés, toi et ta famille, d’où viennent-ils tu crois ?! Il a parcouru du chemin avant de trouver sa voie… Et il te l’a montrée. Crois-moi. Ouvre ton cœur, c’est tout.

Tu y arriveras.

Wednesday, December 15, 2004

Il est mort un 14 Décembre

Il a travaillé 103 ans durant, en vue de ce jour-là, cette seconde, cet instant, où il est passé outre-tombe.

La vie, sans se retourner, l’a comblé et même félicité : il y est !

Dieu, l’au-delà, la vie éternelle, le jardin d’Eden… La richesse innommable. Il y est. Et moi pas.

Nous, on est là, seuls, beaucoup plus qu’avant… Sans comparaison même. Et il n’y a que les pierres pour en juger. Elles étaient là, elles y sont et elles le resteront. Leur jardin n’a de limite que le nôtre. Et le minuscule mien, embourbé, n'est plus digne ni d'elles ni de leurs apôtres...

Alors encore une fois, je prie. Et j'espère… Sans attendre en retour ni reconnaissance, ni signe… Juste une nouvelle chance, d’offrir en partage, cette lueur fugace qui nous tient et nous fait vivre, ce récif qui à la surface de notre désespoir nous rappelle cette terre promise, où la lumière dans son infinie grandeur, n’a de limite que l’horizon.

Elle existe! Je veux y croire… Il s’est battu pour elle. Car aussi fugace soit-elle, il l’a devinée et appris à l’aimer. Et il y est. Il y est, je le sais. Il ne peut être nulle part ailleurs.

Et nous, nous allons nous battre pour le rejoindre, pour partager cette bribe de lumière qu’il m’a léguée… A moi autant qu’à chacun de nous. Il m’a appris à chanter sans bouger les lèvres, à danser sans lever les pieds, à donner sans attendre en retour, à partager sans rien avoir… Il m’a trouvé, recueilli et sauvé. Je n’ai pas perdu un grand-père, j’ai perdu un père, un tuteur, un sauveur, mon héros. J’ai perdu même plus que ça… J’ai perdu une partie de moi. Une partie que personne ne retrouvera… L’Histoire ne résonnant qu’une fois.

Une vie exemplaire comme la sienne ne peut être qu’un hymne à la joie !!! Et un hymne, comme vous le savez, se chante en chœur.

Ah la la, pour ceux qui l’ont connu… Quel homme, quel poète, quel homme de science et de sagesse !!! Un érudit en générosité !!! Si cette science existait, il en aurait eu le prix Nobel pendant au moins 50 ans… Mais ce n’est pas le cas. Il est juste un homme comme les autres, qu’on admirait certes pour sa force de personnalité, mais néanmoins un homme parmi tant d’autres…

S’il y a une seule chose que je voudrais changer, ce serait l’immense manque qui découle de n’avoir pas passé le peu de temps qu’il était avec nous, plus près de ses histoires et de ses préceptes… Pourquoi ?!

Allez savoir !!! Les obligations, les contraintes, les illusions, les avions, la police, les militaires, la vieillesse… La vieillesse. Pff… Que de manières pour si peu de choses. Il aurait déplacé une montagne s’il l’avait fallu. Rien qu’avec sa foi. Rien que pour nous, ses enfants.

Alors pourquoi nous, ses enfants, n’avons-nous pas grandi sous ses yeux, bénis par son regard gris et caressés par sa poésie sans couleur ni race ?! Ou peut-être bien orange… Orange comme la vie, orange comme le bonheur, orange comme le soleil qui brûlait dans son cœur. Et rien de noir. Oh non, rien de noir.

Je l’aime.

De tout mon cœur.

De tout ce que je peux avoir à perdre, de toute l’étendue de ma misérable foi, de toute l’énergie que je pourrai jamais déployer pour lui ressembler.

Je l’aime, parce qu’il ne m’a jamais rien demandé et que je lui dois tout.

Je l’aime parce qu’il nous a aidés et que je n’ai rien fait pour lui.

Je l’aime parce que son univers est tellement vaste et puissant que je me sens aspiré dedans, comme une plume vers le texte qu’elle étend, sur ce papier dont l’existence n’a de raison que son précédent.

Je l’aime parce qu’il est mon exemple et que sans exemple, l’artifice n’a plus ni éclat ni raison d’être.

Je l’aime parce que sa vie n’a été qu’amour et partage. Heurts aussi évidemment, mais qui n’en a jamais eu l’heur.

Je l’aime pour ce privilège qu’il nous a légué de pouvoir marcher la tête haute dans les méandres de notre solitude. « Oui Messieurs dames, Mustapha Ezzedine est mon grand-père !!! » Et je ne pourrais imaginer d’homme plus juste et généreux que lui. « Toi qui le connais, peux-tu ?! » Et si tu ne le connais pas, crois-moi sur parole, je n’en connais aucun…

Je l’aime pour sa fierté et sa persévérance. Rares sont ceux qui aujourd’hui, hier ou jamais auraient la force de se battre seuls contre la vie, à 7 ans... Sans autre aide que celle de Dieu ?!

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaarrggh !!!!!!!

L’oxygène me manq…